Freitag, 20. Juli 2012

L’OPÉRETTE, PRISME DE LA SOCIÉTÉ



L’opérette? Qu’évoque-t-elle pour vous? Le public français s’imagine parfois aujourd’hui que l’opérette est un genre viennois, romantique, sirupeux. À Bordeaux fin des années 50, ma grand mère m’emmenait voir « Violettes impériales » au Grand Théâtre! En Autriche, on apprécie les mélodies, des airs que tout le monde a en tête, l’esprit d’escalier et les bons mots.

Je suis allée à l’exposition du Theater Museum à Vienne par curiosité, il s’agissait de « l’opérette : une comédie humaine » le prospectus montrait le portrait d’une chanteuse ressemblant à Pallas Athéné dans une merveilleuse robe Belle Époque. J’ai plongé dans un monde fascinant dans un décor de velours rouge et or, étincelant de strass!

Tout le monde s’accorde à voir en Jacques Offenbach le créateur de l’opérette à Paris dans la France de Napoléon III. Né à Cologne, en Allemagne en 1819, il est le fils de musiciens allemands d’origine juive qui le poussent à l’âge de 14 ans, à partir à Paris avec son frère pour étudier au Conservatoire. Déjà excellent violoncelliste, il commence à composer très tôt. Il  reste un an au conservatoire puis entame une carrière  brillante. En 1855 il est nommé directeur de musique et chef d’orchestre à la Comédie française. Il règne sur la scène musicale du Second Empire, la Belle Hélène 1864, Barbe Bleue 1866, La Vie Parisienne 1866, La Grande duchesse de Gerolstein 1867.
Il évolue dans un monde où se côtoient aristocrates et grands bourgeois, leurs maîtresses, actrices et chanteuses des spectacles d’opérette, telle la fameuse Hortense Schneider qui servit de modèle à la Nana de Zola, « Nana était nue. Elle était nue avec une tranquille audace, certaine de la toute puissance de sa chair. Une simple gaze l’enveloppait: ses épaules rondes, sa gorge d’amazone dont les pointes roses se tenaient levées et rigides comme des lances, ses larges hanches qui roulaient dans un balancement voluptueux, ses cuisses de blonde grasse, tout son corps se devinait, se voyait sous le tissu léger, d’une blancheur d’écume. C’était Vénus naissant des flots, n’ayant pour voile que ses cheveux » Émile Zola. Elle fut également peinte à sa toilette par Manet. C’était un monde aux mœurs libres où les courtisanes avaient besoin d’un protecteur pour pouvoir percer, où les femmes s’échangeaient facilement sans grand drame. Les artistes se pressaient autour des puissants profitant des largesses et des bonnes fortunes. Cette société d’hommes en redingotes noires et chapeau haut de forme accompagnés de femmes en cheveux, en tenues légères ou décolletées est croquée avec force et dérision, par Toulouse Lautrec, Degas, Forain, Manet comme nous le montre l’exposition actuelle sur l’Impressionnisme de l’Albertina, malheureusement trop courte.
Jacques Offenbach est le grand inventeur et compositeur d’un nouveau genre où persiflage de la société et invention mélodique font rire en musique.
Après la guerre franco-allemande de 1870 et la Commune, il devient « persona non grata » à Paris, doit retourner en Allemagne, faire des tournées avec sa troupe et va même jusqu’aux États-Unis où il reçoit un accueil triomphal.
Lors d’un voyage à Vienne autour de 1860, Offenbach rencontre Johann Strauss fils qui compose des valses dans la lignée de son père, il le conseille « vous devriez écrire des opérettes, Monsieur Strauss ». C’est le début de la grande période de l’opérette à Vienne : La Chauve Souris 1872, le Baron tzigane, Carnaval à Rome entre autres, à l’instar d’Offenbach, Strauss fait une tournée aux États-Unis avec  grand succès.
Franz Lehar, fils d’un chef d’orchestre militaire de l’Empire austro-hongrois, parcourt tout l’Empire accompagnant son père, il est sensible aux différents rythmes de musique et s’inspire des traditions régionales. Il suit d’abord les traces de son père comme chef d’orchestre militaire puis quitte l’armée pour devenir le chef d’orchestre du Theater an der Wien, en 1905 c’est le grand triomphe avec la Veuve Joyeuse qui lance sa carrière comme chef incontesté de l’opérette au XXe siècle.
L’exposition permet d’écouter des extraits d’opérettes connues et de faire connaissance avec les grands interprètes de la fin du XIXe siècle. Leurs portraits, leurs caricatures, les journaux de l’époque et même les reçus des fournisseurs nous donnent une image vivante du monde de l’opérette à Paris et à Vienne En France, une des chanteuses préférées d’Offenbach est Zulma Bouffar. Il y a également les reçus des couturiers à Vienne: les chanteuses doivent payer elles-mêmes pour leurs habits, 600 Kronen pour une robe ce qui équivaut à ce que gagne un conseiller de la cour en un mois !
Sous Napoléon III comme dans la Vienne impériale il n’est pas facile de contourner la censure officielle. Les indications de mise en scène sont vagues à souhait par exemple dans la Belle Hélène, H. se met au lit (sous entendu elle n’y est pas toute seule !).
Les artistes chantent leurs parties dans leur langue, il arrive que dans les tournées aux Etats-Unis, on écoute une opérette chantée en français, allemand et anglais.
La société de cette fin de siècle à Vienne est faite de contrastes entre un monde d’amusements, de frivolités, d’argent, une  bureaucratie étouffante, une hiérarchie militaire figée et des classes populaires attirées par la grande métropole et les débuts de l’industrialisation. Le monde de l’opérette est plein d’équivoques, de femmes habillées en hommes, d’hommes habillés en femmes chantant leur partie respective. Il y règne une très grande liberté de mœurs  Un foisonnement artistique - pensons à la Sécession, Klimt, Schiele dans l’art, Arthur Schnitzler, Hugo von Hofmannsthal dans la littérature témoigne de cette époque et en font la critique incisive, l’opérette viennoise en marge de cette société tourne en dérision l’ordre social.
La coupure de la première guerre mondiale n’arrête pas le développement de l’opérette à Vienne, compositeurs et grands interprètes contribuent à son succès.
Dans les années 20, Franz Lehar se lie d’amitié avec le ténor Richard Tauber l’un des plus grands chanteurs d’opéra de l’époque. Il compose pour lui  Le Tsarevitch  1927, le pays du sourire 1929. Tauber chante parallèlement à l’opéra de Vienne, de Londres, à New York où il présente des opérettes de Lehar.
En 1934 Lehar est à l’apogée de sa célébrité, l’Opéra de Vienne lui commandite un opéra Giuditta 1934 qui obtiendra un franc succès. Ce sera la dernière partition du compositeur âgé alors de 65 ans.
D’une dizaine d’années plus jeune, Emmerich Kalman est quasi contemporain de Lehar. Né en Hongrie en 1882 dans une famille de négociants juifs, il atteint déjà la célébrité avec Princesse Czardas en 1915, tableau d’une société qui s’effondre au début de la grande guerre. Sa carrière de compositeur le mène de Budapest à Vienne, Comtesse Mariza triomphe en 1924 avec le ténor Hubert Marischka directeur alors du Theater an der Wien puis c’est  en 1926 la princesse de cirque  et la duchesse de Chicago en 1928. Des mélodies inspirées du folklore hongrois et de la tradition viennoise incorporent des éléments de jazz. Les textes sont pleins d’humour et ses œuvres voyagent beaucoup au travers des océans de Vienne à New York.
Ralph Benatzky naît en 1884 en Moravie qui fait partie à l’époque de l’empire austro-hongrois. Il  étudie à Vienne et à Prague et commence à composer la musique et les textes de ses opérettes et de  revues de cabaret. Dès 1914 il part pour Berlin où il crée de nombreuses opérettes dont  l’auberge du cheval blanc en 1930 qui connaît une carrière fulgurante entre Vienne, Berlin et Hollywood. Le librettiste Erik Charell lui- même directeur de revues décrit cette opérette comme « un divertissement intelligent pour le citadin moderne », irrévérencieux et décadent tout en restant glamour, une satire mordante du tourisme allemand dans un décor nostalgique de carte postale kitsch.

Indissociables des compositeurs sont les grands interprètes du moment, Max Hansen, Zarah Leander, Betty Fischer qui donne la tête d’affiche de l’exposition au Theatermuseum dans Die Königin 1927 d’Oskar Strauss avec Herbert Marischka, c’est l’époque d’argent de l’opérette viennoise dont elle est la diva. Elle chante 400 fois dans l’opérette  der Orloff  1925 de Bruno Granichstaedten.
La prise de pouvoir de Hitler en Allemagne signe l’arrêt de mort de l’opérette à son apogée. Les lois raciales interdisent aux juifs de travailler, la scène musicale et théâtrale leur est interdite. Or presque tous les artistes, compositeurs ou librettistes sont, soit juifs ou apparentés, de près ou de loin. Certains quittent Berlin pour Vienne entre 34 et 38, on y assiste à un renouveau tardif de l’opérette. Dès l’Anschluss la même politique s’applique en Autriche, Kalman s’exile aux Etats-unis, Benatzky qui n’est pas juif mais s’en est pris à Hitler dans une de ses chansons satiriques part pour Hollywood où il commencera une carrière cinématographique. Hansen retourne au Danemark dont sa mère était originaire. Lehar marié à une  juive se terre à Bad Ischl avec sa famille, il y passera toute la guerre.

Hitler adore l’opérette, il découvre avec horreur que son morceau favori Die goldne Meisterin d’Edmund Eysler 1917 est l’œuvre d’un juif. Il demande à Lehar de divorcer de sa femme Sophie, Lehar refuse. Il voudrait que Kalmann accepte de devenir aryen d’honneur, Kalman refuse. L’opérette est alors victime d’une large épuration, les textes sont purgés, plus de critique sociale et d’humour juif, la musique est épurée, on enlève tous les éléments de jazz, la musique nègre comme on l’appelle. Il s’ensuit une opérette insipide qui a perdu son caractère percutant. Die goldene Meisterin  changera trois fois de nom jusqu’à ce que Hitler se décide à élire La Veuve joyeuse son opérette préférée.
Parmi les artistes et les musiciens, beaucoup n’ont pas réussi à partir, ils sont poursuivis et envoyés en camps de concentration. Ils grossiront les rangs des orchestres et des revues des camps pour amuser la bureaucratie nazie.
Après la guerre, il y a une fracture, on joue toujours les versions héritées du grand Reich. Une affiche de 1950 représente une jeune femme en dirdl assise au milieu d’un grand pré, une idylle folklorique n’ayant rien à voir avec la version originale de l’auberge du cheval blanc à l’outrance scandaleuse.
Rares sont les tentatives de revenir au texte et à la musique originale, l’opérette des festivals est donc rétro, conventionnelle avec des mélodies connues de tous.
Il existe pourtant des tentatives de créer des œuvres satiriques, collant à la réalité comme à l’opéra de Los Angeles en 2006 the beasty bombing  mettant en scène terroristes, soldats américains et un président répétant qu’il est le meilleur président. La production a été jouée à Amsterdam en 2008 avec succès. Le théâtre du Châtelet à Paris présente en 2006 Le chanteur de Mexico avec Francis Lopez et ne désemplit pas de la saison.

Jacqueline Hengl


Links: 
Autorin Jacqueline Hengl:  http://kundkwien.com/agency/26/
Wiener Theatermuseum: http://www.theatermuseum.at